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"Ma meilleure fausse amie"


N’oublions jamais que derrière la souffrance, derrière la dépendance quelle qu'elle soit, se cache une histoire…et que celui qui l’a vécue est le seul à la connaître et à pouvoir se juger, se critiquer et s’applaudir quand il le veut…



"Béquille, ma meilleure fausse amie.

Pourquoi toi, Béquille, es-tu devenue, pendant toutes ces années, en cachette souvent, dans la honte toujours, ma meilleure fausse amie ? Aujourd’hui je peux enfin répondre à cette question. Grâce à toi je ne ressentais plus la douleur, l’impuissance. Cette impuissance née de ces blessures physiques et psychiques, infligées par la « chose ». Cette impuissance ressentie lorsque je me suis retrouvée démunie, figée par l’effroi, incapable d’agir, lorsque j’ai perdu le contrôle de ma vie et que le sang s’est figé dans mes veines. Ce moment précis où tous mes repères, mes certitudes, mes espoirs, ma puissance, mes valeurs, mes croyances, mon âme tout entière se sont fissurés. Mon être s’était brisé, et chaque morceau se trouvait englouti dans un puits qui semblait sans fond. Fausse amie, tu me rendais tout mon pouvoir, anesthésiant le souvenir de la « chose » et de ce qui avait été détruit, perdu…l’espace d’un instant, j’étais à nouveau forte, le monde m’appartenait, je retrouvais mon âme, et je devenais un être tout puissant, prête à embrasser à nouveau ce monde que je re-trouvais beau. Fausse-amie, tu remplissais ce trou noir, gluant, effrayant, douloureux qui aspirait mon âme… Oui, tout cela l’espace d’un instant. Et puis tu me quittais, tes effets se dissipaient, et la réalité froide, douloureuse était de retour. J’étais de nouveau projetée dans ce monde où je ne trouvais plus ma place. Ce foutu monde qui m’avait trahie. J’avais la sensation d’avancer à tâtons dans le noir sans jamais retrouver le sentiment de sécurité qui aurait permis de renouer avec ma confiance en moi, en les autres, en la vie. Une sensation d’avancer au ralenti, décalée par rapport aux autres. Je me retrouvais engluée dans cette solitude intérieure, rideau de brume derrière lequel se jouait ma vie, une vie à aimer de son mieux, à faire de son mieux, pour que tout paraisse bien, pour protéger ses proches, garder sa place ou en tout cas une place dans la société. C’était une fausse vie, en compagnie d’une fausse-amie. D’autres « choses » sont venues violenter cette personnalité déjà fissurée, affaiblie, et elles ont ébranlé les tentatives de restauration de mon édifice fragile. La colle que j’avais appliquée avec mes doigts nus, sur les quelques morceaux brisés que j’avais pu ramasser, n’avait pas eu le temps de sécher que je me retrouvais à nouveau confrontée à la mort, à la violence, à la peur. Et mes doigts saignaient, tout comme mon cœur. Les seuls moments de certitude c’est toi ma fidèle fausse-amie qui me les apportais. Toi qui, l’espace d’un instant, me rendais ma toute puissance, ma légèreté. Fausse-amie, je savais que tu me faisais du mal, que nous devions nous séparer, pour que je ne perde pas le semblant de vie qui me restait… Cette séparation a été un travail long, douloureux, difficile. Il a fallu descendre plus loin dans ce trou, jusqu’à en toucher le fond, patauger dans sa boue froide, collante, puante. J’ai cru ne pas y arriver. J’ai cru m’y noyer. Je cherchais un support pour en sortir. Et je luttais pour ne pas saisir ta main…j’ai appelé à l’aide plusieurs fois et quelques autres mains se sont tendues, me remontant de quelques mètres…avant de me lâcher, fatiguées. Toi seule ne me lâchais jamais. Jusqu’au jour où j’ai saisi une main plus solide que les autres. Plus rassurante que toi. Plus forte que toi. Je l’ai agrippée et elle n’a plus lâché la mienne pendant toute la période qu’a demandé ma reconstruction. Grâce à elle j’ai pu descendre dans le puits sachant que je pourrais en sortir. J’y ai rassemblé mes morceaux, les ai nettoyés, polis, les ai recollés. J’ai pris le temps de laisser sécher la colle, d’en gratter des traces, d’en laisser d’autres… Grâce à elle j’ai pu retrouver quelques morceaux plus englués que les autres et qui demandaient plus d’attention, de douceur, de travail avant de les remonter à la surface, victorieuse… Grâce à elle, j’ai pu accueillir mes émotions, mes souvenirs, mon mal-être, mes regrets, mes douleurs, mes échecs… j’ai pu revisiter l’effroi, l’anéantissement, la honte, la cruauté. Et pour la première fois, je me suis sentie entendue et reconnue dans mes blessures, ma souffrance, ma perte. L’ombre que j’étais devenue à l’intérieur pouvait enfin reprendre des couleurs, ses couleurs, et leur donner un nouvel éclat. L’éclat de celle qui sait ce qui se cache derrière le rideau de brume. C’est revêtue de ce nouveau statut, tenu secret dans mon coeur, que j’ai réussi à couler de nouvelles fondations, stables, qui m’ont permis de grandir, de me redresser jusqu’à me tenir debout. Et enfin j’ai tendu les bras vers le ciel et embrassé à nouveau la vie en appréciant sa beauté comme jamais auparavant. J’ai pu te dire adieu Béquille, ma fausse-amie. Un adieu joyeux, léger. Je ne t’oublierai jamais. Je sais que tu voudras revenir me voir…mais si tu t’invites à nouveau, tu comprendras que je ne t’ouvre pas ma porte…"

D.

Merci à toi, D., pour ton témoignage. Cela a été un honneur de te prêter ma plume pour le déposer par écrit. Avec toute mon affection, Anne 🌟

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